Les Mystères du Temps


Seconde intercalaire: ses jours sont comptés

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avril 2024


Seconde intercalaire: ses jours sont comptés

L’heure officielle a régulièrement sauté d’une seconde afin de coller au plus près à la rotation de la Terre. Cette seconde intercalaire pourrait être mise en pause, voire disparaître, d’ici 2035.

T

out le monde connaît les années bissextiles et leur 29 février, rajouté pour que l’année du calendrier ne diverge pas trop de l’année solaire (qui dure 5 heures, 48 minutes et 46 secondes de plus que les 365 jours usuels). Elles ont une petite sœur, appelée seconde intercalaire, qui elle aussi sert à réconcilier le temps défini par les humains avec celui de la nature. Mais elle est vouée à disparaître au plus tard en 2035, selon une décision prise lors de la dernière Conférence générale des poids et mesure tenue fin 2022.

La seconde intercalaire sert à accorder deux définitions du temps: le temps universel coordonné (UTC) utilisé comme temps officiel, et le temps atomique international (TAI), défini à partir d’horloges atomiques par le Bureau international des poids et mesures (BIPM), l’instance suprême qui définit les unités de mesure ainsi que l’heure qu’il est. Ces deux temps ne sont pas toujours en accord: l’UTC veut s’accorder au temps astronomique défini par la rotation de la Terre sur elle-même, et celle-ci n’est pas constante.

La journée d'un stégosaure vivant il y 160 millions d'années ne comptait que 23 heures.
La journée d’un stégosaure vivant il y 160 millions d’années ne comptait que 23 heures.

D’abord, elle ralentit d’environ 0,02 milliseconde par année (la journée d’un stégosaure vivant il y 160 millions d’années ne comptait que 23 heures). Ce phénomène est dû à l’effet gravitationnel de la Lune, qui produit les marées, éloigne notre satellite et ralentit la rotation notre planète. Ensuite, elle peut être impactée par des événements géophysiques majeurs tels que le séisme de Sumatra de 2004 ou encore le remplissage du barrage des Trois-Gorges en Chine.

Un graphique montrant la différence entre le temps astronomique (UT1) et le temps universel coordonné (UTC). Les segments verticaux correspondent aux secondes intercalaires.
Un graphique montrant la différence entre le temps astronomique (UT1) et le temps universel coordonné (UTC). Les segments verticaux correspondent aux secondes intercalaires.

Pour combiner la précision du temps atomique avec la définition astronomique du temps, on rajoute parfois à l’UTC une seconde intercalaire afin d’éviter une différence de plus d’une seconde, un changement qui s’est produit 37 fois depuis le lancement de l’UTC en 1972. Mais les jours de cette pratique sont comptés, notamment à cause d’un phénomène inattendu: une pause dans le ralentissement de la rotation de la Terre et l’observation de son accélération depuis trois ans.

«Jusqu’à présent, il s’agissait toujours de rajouter une seconde à l’UTC et les systèmes étaient adaptés à cette tâche, explique Patrizia Tavella, directrice du Département du temps à BIPM. La prochaine fois, il nous faudra peut-être enlever une seconde à l’UTC. Il y aurait un nombre très important de systèmes à mettre à jour et nous voyons un risque de difficultés techniques qui rappelle le bug informatique de l’an 2000. La communauté internationale est d’avis que la faible tolérance actuelle d’une seconde est trop restrictive sans qu’elle n’apporte de bénéfice majeur.» Un avis partagé par des entreprises technologiques telles que Meta, qui soulignent les efforts techniques conséquents – et les risques liés – générés par ces sauts temporels.

Seconde intercalaire: ses jours sont comptés

Une proposition est d’augmenter cette tolérance à par exemple une minute, suffisamment pour n’avoir pas d’ajustement à faire pour un ou plusieurs siècles. D’ici là, l’UTC resterait couplé au temps atomique, et sa différence avec le temps astronomique pourrait aller jusqu’à 59 secondes. Rien de bien inquiétant lorsqu’on se rappelle le passage à l’heure d’été qui fait sauter toute la société d’une heure entière au beau milieu de la nuit.

Deux pays en particulier se sont initialement opposés à l’abandon de la seconde intercalaire, relève Patrizia Tavella. La Russie voyait d’un mauvais œil la nécessité de mettre à jour de nombreux systèmes, notamment ses satellites GLONASS (l’équivalent du GPS américain) afin d’accommoder le traitement d’une différence temporelle supérieure à une seconde. Le Royaume-Uni, lui, voulait s’accrocher au temps moyen de Greenwich GMT, basé sur l’heure astronomique mais de plus en plus une relique du passé. «En principe, donner l’heure de manière précise est avant tout une question technique, dit la physicienne. Mais parfois, cela devient politique.»